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Chronique de Un jeu cruel de Robert Silverman

A n'en pas douter Chuck Palahniuk n'aurait pas craché sur cette histoire-là, tant les jolis monstres de Robert Silverberg font écho à l'univers déjanté de l'auteur de Choke et d'Invisible Monsters. Un jeu cruel est une fable assez étonnante sur la plume pourtant variée de Silverberg, l'homme aux 200 et quelques textes (romans, nouvelles), auteur de l'Homme Programmé ou de Gilgamesh.
Ecrit en 1967 et venu à nous en Folio SF 40 ans plus tard, Un jeu cruel, court roman de 200 et quelques pages, se situe dans un futur assez éloigné mais qui n'est pas dénué de réalisme. Un producteur télé qui tient, dans une logique de concentration tout azimut, des chaînes de télé comme des parcs touristiques, des sites naturels sur la Terre et les planètes de la galaxie, a l'idée pour relancer l'audimat d'organiser la rencontre de 2 freaks à la dérive : un astronaute kidnappé par des extraterrestres hostiles qui, après avoir tué ses deux collègues, le reconstruisent en tentant "d'améliorer ses fonctions rudimentaires". Ses yeux, par exemple, s'ouvrent non plus de haut en bas mais de droite à gauche. On lui a rajouté des tentacules et refait le portrait, ce qui n'a pas manqué de le traumatiser. L'homme vit en reclus et n'ose plus faire un pas dehors. Le monstre parfait. A sa gauche, une jeune fille de 16 ans, pas moins paumée qui a eu son heure de gloire lorsque des scientifiques zélés lui ont prélevé cent ovules pour donner naissance simultanément à 100 bébés.

La vierge aux 100 bébés, 2ème personnage culte de cette histoire loufoque. Le gras-double producteur de télé (obèse et qui se nourrit à la souffrance humaine) organise avec ses sbires un rencard qui fonctionne par delà les espérances et amène à une love story entre les deux monstres, lesquels entreprennent alors une sorte de lune de miel des meilleurs spots de la galaxie. Dit ainsi, pas simple de vendre ce livre-là sans dire que Silverberg s'en tire à la quasi-perfection tant sur le plan de la forme que du fond. Sur le fond, justement, les travaux d'apprivoisement des deux coeurs perdus sont impeccablement saisis. Si l'on considère (c'est une définition qu'on peut en donner) que l'amour n'est jamais que le moyen trouvé par deux douleurs pour se consoler, Un jeu cruel en est la meilleure illustration. Les échanges entre la vierge folle et le Caliban astronaute sont superbes. Leur redécouverte de leur corps meurtri sonne tout à fait juste et les brouilles qui suivent leur idylle prosac tout à fait convaincantes. On déplorera juste que la partie médiatique soit sacrifiée au profit de l'aventure sentimentale. Le rôle du producteur sort un peu affaibli des choix structurels, ce qui est dommage compte tenu de son potentiel. Sur la forme, où Silverberg excelle d'ordinaire à faire pleurer les machines, le récit offre quelques beaux morceaux de bravoure : récits enchassés des tortures subies par les astronautes, solitude, poursuites amoureuses à travers l'espace intersidéral : du grand art à haut potentiel évocateur, comme souvent chez cet auteur.

A l'arrivée, un Jeu cruel n'est pas un roman aux enjeux extraordinairement élevés (on parle amour, beauté et pas gloire), mais un plaisir de gourmets qui ravira tant les amateurs de soap opera que les fans de SF. Dans un registre différent, le livre s'adresse à ce public de plus en plus nombreux qui vient à la SF par l'extérieur et qui aime garder un pied en terre connue. Un Jeu Cruel fait cet effet là et le fait bien.

Un jeu cruel de Robert Silverman, Folio SF

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